mercredi 9 décembre 2009

Bob l'Eponge : Du Candide aquatique à l'icône mondiale


Dans le paysage audiovisuel mondial, et en terme de séries télévisées d’animation, les années 90 ont été une époque charnière. En plus de l’arrivée des séries venues d’Asie, des grands créateurs se sont mis à la production d’animation télévisuelle, comme Steven Spielberg, et de nombreuses séries extrêmement originales ont vu le jour, notamment sur des chaines comme Cartoon Network, Warner Bros. ou Nickelodeon. Ces séries sortent des structures établies de production et proposent de nouveaux sujets qui brisent certaines barrières sociales et culturelles. Elles reflètent une ouverture dans le domaine de l’animation télévisuelle car elles touchent un nouveau public, celui des adultes. Comme les publics changeaient, les séries continuaient d’évoluer, et les publics suivaient ce que proposaient les séries. Le système était devenu un cercle productif et créatif, qui offrait à la télévision des séries magnifiques, osées et novatrices.

Un des brillants exemples de cet esprit des années 90 est la série (et le personnage) de Bob l’Eponge. Créée en 1999 par Stephen Hillenburg et diffusé par Nickelodeon, Bob l’Eponge est le parfait exemple de série animée qui touche tout les publics. Comment une série apparemment enfantine est arrivée au cours de ses 10 années d’existence à avoir dans son public plus d’un tiers d’adulte ? Pourquoi Bob l’Eponge est-il parvenue à devenir une icône populaire mondiale, et de ce fait, à transcender son statut de simple série télévisée ?

Dans la première partie de ce dossier, j’expliquerais les raisons qui ont permis à Bob l’Eponge de transcender son média d’origine pour devenir une icône populaire mondiale. Je vais notamment essayer de révéler comment cette série et ce personnage s’inscrit dans la tradition du burlesque.

Dans un second temps, je tenterais de déceler les raisons de son impact sur des publics aussi variés, et de son ‘universalité’. Je me concentrerais sur l’impact de cette série sur les différents publics, et sur ces différents niveaux de lecture.


I) Pourquoi Bob L’Eponge est-il devenu une icône mondiale ?

Bob ou le Candide aquatique.


Le personnage de Bob l’Eponge est fondamentalement absurde. C’est une éponge jaune fluo, habitant dans un Ananas au fond de L’Océan Pacifique, portant des pantalons pliables, et ayant comme animal de compagnie un escargot qui miaule répondant au nom de Gary. Il témoigne d’une volonté de s’éloigner le plus possible de la réalité, tout comme son univers. Le monde de Bob l’éponge est basé sur le non-sens, le loufoque, mais toujours rempli d’humour.

La personnalité de Bob teinte évidemment tout l’univers de la série, et son regard sur les choses en est une des composantes essentielles. S’il fallait véritablement définir Bob, il serait une sorte de Candide aquatique, avec l’espièglerie en plus. Tout comme ce personnage de Voltaire, Bob a une tendance à l’innocence et à la naïveté. Il a également une spontanéité innée, et une facilité à l’enthousiasme, ce qui peut le pousser à poursuivre des buts ou à lancer des projets désespérés sans jamais défaillir. En cela, sa véritable force, preuve de son regard innocent et naïf, est qu’il ne voit pas toutes les répercussions de ces actes, et les conséquences négatives de ce qu’il fait ne l’atteignent jamais vraiment. Il est en quelques sortes « imperméable au dramatique, au tragique » (propos de Sonja Schindowski issus de l’exposition Bob L’Eponge, comme vous ne l’avez jamais vu). Je rajouterais cependant qu’il est surtout imperméable au tragique que l’univers réel veut lui imposer. Car il peut tout de même être triste. La perte d’une capacité (cuisiner, faire ses lacets, … ) ou la perte d’un ami ou de quelque chose qui lui est cher, dans le cadre du monde tel qu’il le voit, peut l’atteindre et le mettre dans des états déplorables. Cette attention qu’il porte à des choses apparemment sans importance est l’un des nombreux décalages présent dans la série. Ceux-ci, entre la perception de Bob et la nôtre, est l’un de ses moteurs comiques principales.

En quelques sortes, Bob est un être éternellement optimiste, et la gravité des choses n’a que peu de prises sur lui. Pourtant, objectivement, sa vie n’est pas drôle : il se fait réveiller tous les jours par un réveil tonitruant, il a un voisin exécrable, il travaille dans un fast-food oùil se fait exploiter … Mais cela n’a véritablement aucun impact car il place ses désirs simples à la hauteur de son existence. Faire frire des pâtés de crabes toute la journée est alors une de ces activités favorites et, de ce fait, sa vie est merveilleuse. Bob est un être libre et heureux parce qu’il fait tout simplement ce qu’il aime, dans le petit monde qui est le sien, délivré de toutes ambitions démesurées.

La série joue d’ailleurs énormément sur le décalage entre la vision de Bob, idéalisée, irréelle, et celle de son voisin calamar, Carlo. Ce dernier a véritablement conscience de l’existence peu réjouissante qu’il vit (il travaille dans le même fast-food que Bob). Il déteste son travail, qu’il juge débile et réducteur, et ne trouve de liberté que dans l’art (que ce soit la peinture ou la musique). Carlo apparaît finalement comme le représentant de la vision ‘réaliste’ des choses, celle que nous, êtres humains, aurions dans pareille situation. Cependant, le spectateur ne s’identifie pas à Carlo, car il a à faire à un univers totalement assujetti à la vision de Bob. La vision de Carlo est ainsi en décalage permanent, et il apparaît plus comme un personnage grognon que comme un être réaliste.


Une filiation avec le burlesque.


Le succès de Bob l’Eponge peut être expliqué en partie grâce au fait qu’il a réussi à créer une réalité, la sienne, qui triomphe des coups du sort par les ressorts de sa simplicité d’esprit. Elle l’emporte par l’entrain et la vision simple et contagieuse des choses. Ce genre de phénomène se rapproche énormément de ceux qui ont trait au burlesque, et à ses plus fidèles représentants, Charles Chaplin, Buster Keaton ou Jacques Tati. Une filiation revendiquée par le créateur de Bob, Stephen Hillenburg. Et nous allons voir que les raisons du succès de Bob l’Eponge ne sont pas étrangères à ce rapprochement.

En effet, Bob l’Eponge emprunte de nombreux mécanismes à ces grands acteurs du burlesque. Chaplin se situait dans un burlesque plus poétique, tout comme Tati, alors que Keaton était dans un burlesque mécanique. Bob, à sa manière, et à travers l’animation, se fait le digne successeur de ces grands créateurs. Tout d’abord, il partage avec eux une notion abstraite du corps. Bob, sous l’effet du stress ou d’un événement malencontreux, peut se déconstruire, se défaire, assez facilement. Cette « immatérialité du corps » et cette souplesse, transcendé par les caractéristiques inhérentes à l’animation (qui n’a pas les mêmes lois physiques et spatio-temporelles que nous, de l’autre côté de l’écran), et donne à Bob des qualités d’acrobate ou de contorsionniste flagrantes. Tout comme dans le burlesque de Keaton, cette sorte de déconstruction des corps n’est en rien un drame. Il est plutôt un pont vers le rire et vers l’univers irréel de son protagoniste. Cette attitude abstraite du corps rappelle que le monde de Bob l’Eponge est basé sur des notions fluctuantes de réalité. Un monde onirique en quelque sorte…

D’autres similitudes existent entre le burlesque et Bob l’Eponge. Il est d’ailleurs amusant de remarquer que le premier épisode de la série (« Le Grand Nettoyage ») est entièrement sans parole, et il utilise seulement des onomatopées ou des sous-titres, se rapprochant ainsi d’un film muet. Loin de cet apparent clin d’œil, la nature du personnage de Bob, qui à une manière de bouger et d’évoluer très exagérée, se rapproche énormément du mime. Bob est comme tous ces acteurs du burlesque, lié au muet. Mais pour lui l’exagération des gestes et des mimiques n’a pas un but de meilleure lisibilité. Il est le vecteur de la caricature, et d’un humour qui fonctionne aussi bien sur les plus jeunes (qui voient Bob se déformer), que sur les plus grands (qui reconnaissent un stéréotype courant, une caricature).

Une autre caractéristique similaire est le bonheur constant de ces héros. Face à l’ironie de leur existence, ces trois personnages se veulent des êtres heureux et sans soucis (ou si peu). Leur optimisme semble conquérir leurs mondes respectifs, car il semble annuler le principe de réalité, en réussissant à perturber les fondements de la vie réelle et en ignorant les conséquences de leurs actes. Ils persistent constamment dans leurs actions jusqu’à ce que leurs désirs se réalisent, bouleversant alors leurs mondes. Ils arrivent à imposer pacifiquement leur désir, et le désir même, comme définition du réel, contrairement à une discipline jusqu’alors en vigueur. La filiation entre Bob et les grands humoristes que sont Chaplin, Keaton et Tati, se traduit dans « la célébration qu’ils font d’une certaine résistance émotionnelle contre les principes de disciplines (et mêmes contre les lois physiques) de la réalité et de l’ordre social. », comme le dit encore justement Sonja Schindowski.

Bob l’Eponge, et je suis profondément certain de ceci, est devenu l’icône populaire qu’il est actuellement, en partie grâce à cette filiation. Ces grands acteurs burlesques ont été en leur temps (et même encore maintenant) des icônes populaires mondiales. Tout comme Bob, ils présentaient un univers aléatoire à la dure réalité, basé sur le rêve et l’imaginaire. Ce monde que Bob offre est une échappatoire aux problèmes qu’on peut avoir dans la réalité. De plus, dans l’univers de Bob l’Eponge, cette réalité est moquée, et constamment mise en opposition avec la vision de Bob, qui emporte évidemment tous les suffrages.

II) L’universalité de Bob L’Eponge


a) Bob L’Eponge, anticonformiste inconscient

Bob L’Eponge est bien évidemment, à la base, un dessin animé de divertissement pour enfants. Et cette série possède des qualités humoristiques indéniables, basé sur les situations amusantes que vit son personnage principal, lui aussi comique. C’est ce qui explique son succès au près des plus jeunes. Mais au fil des années, le public de Bob l’Eponge a considérablement évolué, jusqu’à ce qu’un nouveau type d’audience rentre en compte dans les adorateurs de la petite éponge jaune : les adultes. Etonnement, ce public plus adulte est arrivé, année après année, à représenter plus d’un tiers des spectateurs de Bob L’Eponge. Mais pourquoi un tel phénomène s’est-il produit, spécifiquement avec cette série ?

Une partie de la réponse peut être trouvée dans la première partie de ce dossier. L’universalité de cette série tient dans son parti pris burlesque, ancré dans des situations familières de la réalité, créant un décalage. Mais hors de ces situations, qui ressemblent comme nous l’avons dit à celles de Chaplin, Keaton et Tati dans leurs films, ce qui semble plaire particulièrement au public adulte tient en une notion intrinsèque au personnage de Bob lui-même.

Vivant dans son « monde » où seul son désir semble maître, il est ainsi par nature anticonformiste. Il semble rejeter le système, en proposant un nouveau point de vue. Mais à la différence des comédiens de chair et d’os du burlesque qui eux se placent clairement en opposition au système, Bob ne choisit pas véritablement d’être pour ou contre le système (à quelques exceptions près), il ne choisit pas d’être anticonformiste, cela tient intrinsèquement à sa manière d’être. Il est un peu de cette façon un Candide rebelle et pacifique.


a) Différents niveaux de lectures


Et c’est en quoi il est un personnage attachant pour le public adulte. Il est tout comme les autres icônes populaires une réponse douce à une réalité difficile. Il vit dans une réalité (son travail, ses rapports avec son voisin, ses ennuis … ) potentiellement peu réjouissante, comme on a l’habitude d’y vivre certains jours, et qui trouve des résonnances chez ce public plus âgé. Bob est un magnifique vecteur d’identification pour ces spectateurs, car il vit une vie qui peut s’apparenter à la leur, avec des règles sociales, une hiérarchie, des problèmes d’adultes.

Là se trouve un autre des points forts du dessin animé Bob L’Eponge. Ses différents niveaux de lecture. Il y a bien évidemment la lecture qu’en font les enfants, littérale, avec les gags et le comique qui en découle. Cet aspect est souvent celui sur lequel s’arrêtent ceux qui critiquent cette série, qu’ils jugent souvent simplement « puérile ». Mais ce dessin animé peut être aussi lu au sens figuré, dans les références au quotidien réel, dans les caricatures, et évidemment dans les critiques qu’elles soulèvent. Bob L’Eponge apparaît alors plus comme le symbole d’une véritable œuvre consciente du contexte dans laquelle elle est. Elle tente de rapprocher le monde du dessin animé, de l’enfance, des véritables questions actuelles et d’aspects de la société dont il a trop souvent été éloigné.

Et c’est en cela que Bob l’Eponge est véritablement un dessin animé dans la tradition des années 90. Il est un dessin animé, certes divertissant, mais également pédagogique, ou tout du moins formateur, pour les enfants. Il n’éloigne pas le jeune public de la réalité, en en créant une totalement aseptisée comme la plupart des dessins animés, mais il la détourne, en en révélant des aspects souvent peu reluisants. Loin de divertissement pur que propose la majorité des dessins animés aujourd’hui, ce dessin animé propose différents niveaux de lecture, certes pour toucher plus de monde, mais également pour pousser les enfants à réfléchir, mine de rien, sur les aventures de leur éponge favorite. Ainsi, Bob l’Eponge permet aux enfants de peut-être mieux comprendre le monde dans lequel ils vont arriver.

Bien évidemment, je ne nie pas la nature même de cette série animée, et son impact premier sur les enfants. Bob l’Eponge possède une forme plutôt minimaliste, et des situations puériles et simples, et cela est sans aucun doute l’une des raisons essentielles de la fascination qu’ont les enfants pour les dessins animés en général. Comme le dit le théoricien de la bande-dessinée Scott McCloud dans son excellent ouvrage L’Art Invisible : « [Le graphisme simpliste] du dessin animé est un vide qui attire notre personnalité, c’est une coquille creuse que nous occupons pour pouvoir voyager dans d’autres univers ». Mais cette série, si elle n’échappe pas à ce postulat du dessin animé, a tout de même permis de le transformer en œuvre réfléchie et pertinente, devenant un symbole culturel et populaire. Une ouverture des esprits opérée par une petite éponge jaune qui a réussi à sortir le dessin animé de son carcan restrictif de production puérile.

Pour conclure, Bob l’Eponge reste un cas rare dans l’histoire de la série animée télévisuelle. Créée à l’époque d’une ouverture des dessins animés à d’autres publics (adulte et adolescent), elle est un des rares cas de série animée conçue pour les plus jeunes, et ayant également réussit à transcender en quelques sortes les contraintes de production d’une série télévisuelle pour enfants, et à devenir, grâce à ce qu’il faut d’intelligence, l’icône qu’on connaît : un héros lunaire, mais ancré dans le réel, avec comme seul arme son rire et son optimisme contre les rudes aléas de la vie. Des caractéristiques qui plaisent autant aux enfants qu’aux adultes, car chacun y trouve des résonnances à sa propre existence. Que ce soit dans les jeux entres copains, ou dans le fait de devoir se lever tout les matins pour aller au travail. Finalement, Bob représente bien la structure de la figure héroïque la plus populaire.

Il est dans la lignée de ses prédécesseurs, Chaplin et Cie, et dans l’animation, Mickey Mouse ou les héros/héroïnes de Miyazaki, eux aussi rentrés dans la mémoire collective comme des remèdes optimistes au monde contemporain. Bob peut se lire dans cette certaine idéologie du héros, qui a tendance à se répéter à travers les âges et les arts, et qu’on peut espérer voir réapparaître dans quelques temps. Néanmoins, dans notre époque où la télévision est plus un outil d’abrutissement que de réflexion, nous risquons d’attendre longtemps avant que quelqu’un prenne la relève de notre cher Bob. Mais ce n’est pas si grave. Il est tellement heureux de se lever tous les matins qu’il en reprendra bien pour 10 ans. Espérons.


Gort


Playlist : Nat King Cole

4 commentaires:

J.C. a dit…

Très belle étude. J'éspère que tu pourras apprécier les fruits de ton travail. Tu sonnes juste, à aucun moment je ne me suis perdu et tes références ne sont pas pédantes du tout.
Merci

Gort a dit…

Merci Jerem' ! C'est sympa d'avoir lu.

Anonyme a dit…

Il est très bien ton blog sur Bob l'éponge. Je me demande ce qu'ils faut faire comme études pour écrire comme ça de la critique sur des événements de cinéma. Tu as fait cinéma ?

Roberto

Gort a dit…

Oui je fais des études de cinéma. Après si tu aimes le cinéma, tu peux très bien faire des critiques. Mais pour écrire des critiques (de films, etc...) ou des analyses un peu plus poussées, c'est vrai qu'il faut avoir une sensibilité particulière (facile) et qu'il faut savoir utiliser et mettre en avant à travers des pistes d'analyses pertinentes et argumentées.

Après, une certaine aisance avec les mots et une très bonne culture cinéma (historique, esthétique, pratique et théorique) sont des plus non négligeables, car ils peuvent être à la base d'une bonne analyse, ou d'une bonne critique.

Si tu veux faire ça, apprends encore et toujours sur le cinéma et l'art en général, et écrit déjà pour t'entrainer !

Merci de ton message et bon courage à toi !